Rencontre avec Claire Munier, thésarde en chimie médicinale à Göteborg (Suède)

Son sujet de thèse en chimie médicinale porte sur la stabilisation d'une interaction entre deux protéines spécifiques grâce à une molécule organique. L'objectif est double : développer une nouvelle classe de composés thérapeutiques et satisfaire un besoin médicinal dans le domaine de l'inflammation pulmonaire.

Mon parcours de formation

Depuis toujours, je suis intéressée par les sciences et la santé avec dans l’idée de travailler dans le domaine pharmaceutique. J’ai donc intégré les classes préparatoires du lycée Descartes à Tours, PCSI puis PC*. J’ai ensuite choisi CPE Lyon pour son enseignement de pointe dans le domaine de la chimie médicinale, ses liens étroits avec les entreprises et surtout son ouverture à l’international.

Durant mon parcours ingénieur, j’ai réalisé mon année de césure dans le département de chimie combinatoire de Boehringer Ingelheim à Biberach, en Allemagne. J’y ai synthétisé des composés organiques pour trouver un médicament contre deux maladies chroniques : des poumons (la BPCO) et du foie (la fibrose du foie).

Cette première expérience en entreprise n’a fait que renforcer mon envie de travailler ensuite dans le domaine de la recherche pharmaceutique et c’est pourquoi j’ai choisi le Master 2 Recherche « Synthèse Organique et Chimie des Molécules Bioactives » à l’Université Claude Bernard Lyon 1.

J’ai tout fait pour repartir à l’étranger et j’ai réalisé mon Projet de Fin d’Etudes chez Roche à Bâle, Suisse dans le département de recherche où j’ai travaillé sur le design et la synthèse de molécules antimicrobiennes.

Pour être au cœur de la recherche et de l’innovation et travailler à nouveau dans une entreprise de renommée internationale, j’ai décidé de poursuivre mes études par un doctorat en chimie médicinale au centre de recherche AstraZeneca situé à Göteborg (Suède) dans le cadre du programme de recherche européen : Actions Marie Sklodowska-Curie – Horizon 2020.

Ma thèse

En septembre 2016, je me suis donc envolée seule pour la Suède avec un mélange d’appréhension et d’excitation. Je ne connaissais absolument pas ce pays mais pourtant j’allais y passer au moins 3 ans de ma vie à travailler au centre de recherche AstraZeneca à Göteborg.

Fjällbacka, une petite ville à 130 km au nord de Göteborg. Une des premières photos que j’ai prise en arrivant en Suède.

Le sujet de ma thèse porte sur l’étude d’un nouveau type de cibles thérapeutiques. En effet il existe plusieurs éléments de notre organisme qui peuvent être la cible d’un médicament : enzyme, récepteurs… ou encore les interactions protéine-protéine. Ces dernières sont, pour le moment, très peu étudiées car elles soulèvent de nouvelles problématiques. Cependant, il existerait jusqu’à 650 000 interactions protéine-protéine dans le corps humain et moduler ces interactions pourrait apporter de nouvelles solutions de traitements à de nombreuses maladies.

Ainsi le sujet de ma thèse porte sur la stabilisation d’une interaction entre deux protéines spécifiques grâce à une molécule organique. L’objectif est double : développer une nouvelle classe de composés thérapeutiques et satisfaire un besoin médicinal dans le domaine de l’inflammation pulmonaire.

L’objectif est de stabiliser l’interaction entre deux protéines (ici en vert et en bleu) à l’aide d’une petite molécule : exemple de l’action d’un produit naturel Fusicoccin A

J’ai été séduite par ce sujet car il couvre une large partie du processus de « Early Drug Discovery », ces premières étapes de recherche pour développer une molécule qui deviendra (peut-être) par la suite un médicament. Ainsi je ne fais pas que de la synthèse organique mais de la synthèse peptidique, des essais biophysiques, de la biologie en exprimant des protéines, de la cristallographie ou encore de la chimie computationnelle. Travailler sur un projet multidisciplinaire me permet d’enrichir mes connaissances auprès de nombreux experts.

Nous sommes une dizaine d’étudiants dans ce réseau européen de formation nommé TASPPI (TArgeted small-molecule Stabilization of Protein-Protein Interactions), soit à l’université soit en industrie et à travers toute l’Europe ! Nous nous réunissons régulièrement pendant une semaine où nous avons des cours, des activités de groupe et où nous présentons l’avancement de notre projet devant nos managers et les membres de l’Université d’Eindhoven (TU/e) à laquelle nous sommes tous rattachés. Cette collaboration multiculturelle entre public et privé m’a attirée.

Groupe TASPPI avec Christian Ottmann notre professeur lors de la conférence 11th European Workshop in Drug Design (XI EWDD) à Sienne, Italie.
Mon retour d’expérience

La recherche avance lentement et de manière discontinue. Certaines périodes, je fais face à de nombreux problèmes dans mon projet et tout à coup je trouve une solution et tout s’accélère. Il faut faire preuve de persévérance.

Grâce à ce projet j’apprends beaucoup dans des domaines variés mais j’ai aussi besoin d’experts pour m’aider et me guider. La difficulté est de trouver le bon interlocuteur surtout sur un site de 2500 personnes. Mon superviseur joue alors un rôle clé en me présentant des gens de son network et au fil du temps je construis mon propre réseau. Je peux aussi m’appuyer sur les membres de mon groupe TASPPI.

Je travaille sur mon propre projet qui n’est pas un projet AstraZeneca. Aussi, je n’ai pas la priorité pour utiliser les ressources de l’entreprise (instruments, personnes). Parfois je dois rester tard ou venir le week-end pour pouvoir utiliser une machine. Les gens travaillent sur leurs projets et ne sont pas tout le temps disponible. Là aussi je dirais qu’il faut faire preuve de persévérance !

Enfin, l’objectif de publier son travail si possible dans un « high impact » journal, est une pression constante qu’on se met et aussi peut être qu’on doit se mettre à soi-même. Même si j’ai cette obligation de publication pour que mon travail soit reconnu par la communauté scientifique, mon superviseur joue seulement un rôle de support et n’est pas constamment derrière moi pour me motiver. En général je le vois une fois par semaine pour lui rendre compte du travail effectué pendant la semaine.

J’aime l’idée d’être confrontée à des challenges et de faire preuve d’esprit logique, de connaissances techniques et de créativité pour trouver une solution à un problème donné. La voie de la recherche permet de travailler sur des sujets pointus et d’être à l’avant-garde. Il me semble aussi que chaque jour est différent et que chaque jour j’apprends quelque chose de nouveau ce qui est réellement gratifiant.

Je souhaite, suite à ma thèse, travailler dans une entreprise pharmaceutique ou de biotechnologie en tant que chimiste médicinale en Europe ou dans le monde avec par la suite des responsabilités managériales.

Mon conseil est qu’il faut être tenace et persévérant, avoir confiance en ses choix mais aussi savoir se remettre en question. En recherche rien n’est jamais acquis et que l’on peut faire face à l’échec et à l’incertitude. Il me semble aussi important de lire beaucoup d’articles scientifiques pour acquérir de nouvelles connaissances et être au courant des nouvelles découvertes.

Même si la recherche peut sembler solitaire car travaillant dans un domaine pointu, je crois qu’il faut être connecté et échanger avec les autres. Je conseillerais d’être curieux et surtout de sortir de sa zone de confort.