Bernadette Charleux, diplômée CPE Lyon 1987 en chimie - génie des procédés : directrice adjointe de la recherche & du développement chez Saint-Gobain

A l’occasion de la cérémonie de remise de légion d’honneur à Bernadette Charleux à CPE Lyon il y a quelques années,  au moment d’un tournant important dans sa carrière, nous avions recueilli le témoignage d’une chercheuse hyperactive, qui ne compte plus les distinctions.

Pouvez-nous nous retracer les grandes étapes de votre carrière dans la Recherche ?

 « Une fois diplômée de CPE Lyon en 1987, j’ai suivi le DEA (maintenant Master 2) de Matériaux Macromoléculaires et Composites à l’Université Claude Bernard Lyon 1, tout en effectuant mon stage de recherche au Laboratoire des Matériaux Organiques de Solaize.

A cette époque, un des chercheurs, Christian Pichot, directeur de recherches au CNRS, était sur le point de quitter le laboratoire, et j’ai eu la chance d’être sélectionnée pour la thèse. Le sujet était consacré à la synthèse de colloïdes polymères fonctionnalisés en surface pour le greffage de molécules biologiques pour des applications dédiées au diagnostic médical.

Très tôt j’ai su que je voulais continuer dans le domaine de la recherche académique et c’est pour cela qu’à l’issue de cette thèse j’ai suivi la voie d’un stage post-doctoral en région parisienne puis tenté le concours d’entrée au CNRS, comme chargée de recherches. J’ai été retenue dès la première tentative, en proposant un projet sur l’étude cinétique des polymérisations cationiques rapides dans l’équipe de Jean-Pierre Vairon (Professeur à l’Université Pierre et Marie Cure, Paris 6) au Laboratoire de Chimie des Polymères.

Pendant cette période, j’ai donc travaillé sur ce sujet mais me suis très vite intéressée en parallèle à la polymérisation radicalaire contrôlée (PRC) qui venait d’être inventée et constituait une véritable révolution au sein de la communauté internationale des polyméristes. Jean-Pierre Vairon m’a proposé de développer ce sujet en milieux aqueux dispersés (émulsion). J’ai alors reçu le soutien d’Arkema (Atochem puis Atofina à l’époque) et j’ai eu la chance de collaborer très tôt avec Kris Matyjaszewski, l’un des inventeurs de la PRC et aussi l’un de ceux qui l’a portée à son plus haut niveau. J’ai donc bénéficié à Paris 6 d’un environnement scientifique extraordinaire qui m’a permis très vite de m’intégrer à une communauté internationale particulièrement active.

Après 8 ans comme chargée de recherches, j’ai postulé sur un concours de professeur des universités à Paris 6 tout en poursuivant ma recherche dans le même laboratoire et en prenant la tête de l’équipe de Jean-Pierre Vairon. A ce stade de ma carrière je me suis investie dans l’enseignement et son organisation (responsable d’unités d’enseignement, responsable du master de Matériaux Polymères, directrice de la licence de chimie). En parallèle à ces activités d’enseignant-chercheur, j’ai été nommée puis élue au Comité National de la Recherche Scientifique où j’ai siégé pendant 8 ans. Comme je ne voulais pas réduire mon activité de recherche, les journées étaient très longues et les week-ends quasi-inexistants (souvent consacrés à la rédaction des articles et à la préparation des conférences). Ce fut donc une période difficile mais très riche en résultats puisque l’investissement scientifique portait ses fruits.

Par la suite, j’ai postulé et ai été retenue pour prendre la direction du laboratoire C2P2 (Chimie, Catalyse, Polymères et Procédés, unité mixte de recherche UCB Lyon 1 – CNRS – CPE Lyon, hébergée par cette dernière tutelle). J’ai donc changé d’université et ai surtout dû endosser une nouvelle responsabilité, celle de directeur d’unité, tout en animant l’équipe de Chimie et Procédés de Polymérisation du laboratoire. J’ai bénéficié en même temps d’une décharge d’enseignement liée à ma nomination à l’IUF (Institut Universitaire de France) et ai pu poursuivre normalement une activité de recherche que les contraintes de l’enseignement et de la responsabilité administrative rendent parfois difficile. J’ai pu ainsi m’investir dans l’école doctorale de chimie ainsi que dans la création et le fonctionnement du labex iMUST.

Durant toute ma carrière j’ai eu l’opportunité de travailler en collaboration étroite avec les grandes industries chimiques et je n’ai jamais caché mon souhait de suivre cette voie un peu plus tard. Ce souhait n’a probablement pas échappé à Didier Roux, le directeur de la recherche, du développement et de l’innovation de Saint-Gobain qui m’a proposé le poste d’adjointe, que j’ai accepté en demandant un détachement à l’UCB.

J’en suis donc là de ma vie de chercheur. Ce dont je suis la plus fière, ce sont bien sûr quelques uns des résultats scientifiques de l’équipe, mais surtout le fait d’avoir formé plusieurs dizaines de docteurs qui font maintenant d’excellentes carrières académiques ou industrielles, dont une majorité de femmes. »

Quel bilan faites-vous des quelques années passées à la tête du C2P2 ?

« Ces quatre années à la tête du LC2P2 ont été particulièrement enrichissantes car la direction d’un laboratoire est avant tout un travail de relations humaines. La partie administrative peut être lourde et parfois fastidieuse mais dans mon cas j’ai été particulièrement bien entourée par des personnels très compétents (gestion administrative et financière, hygiène et sécurité, formation, communication etc.). Les permanents du laboratoire sont très investis dans leur mission de chercheur et ont tous également un sens du fonctionnement collectif très appréciable. Ma vie n’était donc pas très difficile.

Le bilan que je retiendrai est à deux niveau : une vie scientifique très riche en interne ainsi qu’avec des collaborations très productives à l’extérieur du laboratoire ; le sentiment d’avoir contribué à ce que le laboratoire maintienne et développe son excellent niveau scientifique en lui assurant une stabilité de structure qui n’était pas forcément évidente au moment du changement de direction. »

Qu’est-ce qui vous a poussée à rejoindre St Gobain ? Arrêtez-vous la recherche ?

J’ai toujours souhaité voir les deux aspects de la recherche scientifique. Après presque vingt ans dans la recherche académique j’ai eu le sentiment que la proposition de Saint-Gobain arrivait au bon moment. On peut dire qu’en effet j’arrête la recherche telle que je l’ai toujours pratiquée. En réalité, je reste fortement ancrée dans un monde de chercheurs et l’équipe de direction de la recherche de Saint-Gobain reste très proche des activités scientifiques du groupe. Je découvre un monde beaucoup plus vaste que celui auquel j’appartenais jusqu’à présent puisque les projets de Saint-Gobain touchent une multitude de matériaux.

En quoi consiste votre nouvelle fonction ? Quels sont vos nouveaux challenges aujourd’hui ?

La direction de la recherche de Saint-Gobain a pour mission de financer les actions de recherche les plus fondamentales avec une démarche transversale. C’est dans ce contexte que se situe mon activité. Le challenge personnel est de sortir d’un domaine d’activité très pointu pour aller vers une vision plus large de grands domaines scientifiques. La difficulté est d’accepter de ne pas connaître les sujets dans les détails, de ne pas résoudre soi-même les questions scientifiques.

Une carrière jalonnée de prix et distinctions

  • Médaille de bronze du CNRS : 1997
  • Prix de la Société Française de Chimie, Division matériaux, polymères, élastomères : 2000
  • Membre senior de l’Institut Universitaire de France : fin 2009
  • Prix « Grammaticakis-Neuman » de l’Académie des Sciences : 2011
  • Médaille d’argent du CNRS : 2012
  • Légion d’honneur : 2013